Dans le cadre du projet CASCADES, s’est tenu du 7 au 8 mars à Dakar un atelier de travail qui a réuni un groupe de décideurs publics, chercheurs et praticiens du Burkina Faso, du Mali, du Niger, de pays avoisinants et de pays partenaires. Les travaux ont porté sur les politiques et les pratiques contribuant à la gestion des risques en cascade que le changement climatique fait peser sur le développement, la sécurité et la stabilité dans cette région. Ce commentaire reprend quelques points clés des analyses qui ont été faites ainsi que des pistes de réflexion et recommandations qui ont été avancées.
Tout d’abord, les réalités politiques et sociales des pays sahéliens ainsi que les stratégies et potentialités de divers acteurs locaux pour régler et prévenir les conflits doivent être mieux prises en compte. Une meilleure gestion des ressources naturelles est une composante essentielle de l’adaptation et du renforcement de la résilience au changement climatique. L’efficacité des processus de développement et de paix requiert des approches plus pragmatiques et partenariales.
Une crise régionale complexe et étendue
Dans la région du Sahel, le changement climatique a engendré des risques en cascade pour les États, les communautés et les individus. Des événements climatiques perturbateurs ont notamment aggravé les problèmes de sécurité alimentaire, les difficultés économiques dans les territoires ruraux et les tensions entre communautés, menant à des affrontements violents. Malgré la prise de conscience croissante des risques climatiques, les processus et accords de paix dans les pays du Sahel central (Burkina Faso, Mali et Niger), ainsi que les dispositifs de mise œuvre, ne les prennent toujours que peu en compte.
Les tensions dues à des usages concurrents des ressources naturelles entre différents groupes sont à la source de beaucoup de ces conflits intercommunaux. Les choix politiques des dirigeants sahéliens faits à la suite des grandes sécheresses des années 70 et 80 ont contribué pour beaucoup à la marginalisation des communautés pastorales et à leurs griefs. Aussi, la croissance démographique, nécessitant une augmentation des superficies cultivées et amenuisant ainsi les espaces pastoraux, et la raréfaction des mares et autres ressources pastorales ont amené les pasteurs et les animaux à s’aventurer plus souvent dans des zones emblavées et à se déplacer plus loin vers le sud; ce qui a accru les dommages aux cultures et les tensions avec les populations sédentaires.
Dans le même temps, les activités industrielles et artisanales d’orpaillage, bien qu’elles aient généré des ressources financières considérables, ont abouti à la dégradation des terres, des ressources hydriques et de la flore. Le commerce illicite du minerai d’or, auquel s’ajoute celui de la drogue et des organes humains, est par ailleurs devenu le principal moyen de financement des groupes terroristes. Les réseaux de narcotrafiquants se sont même approprié des terres.
Des lois et réglementations foncières inadaptées et un manque d’application stricte des droits et des titres fonciers et des accords et conventions régionaux pour la transhumance ont aussi contribué à l’aggravation de ces tensions.
Une situation sécuritaire de plus en plus détériorée
Alors que les populations des territoires périphériques ont été délaissées par les États de ces pays, des groupes terroristes sont parvenus à exploiter les tensions entre pastoralistes et communautés sédentaires en les agressant et en profitant de l’absence des autorités publiques. Les dispositifs traditionnels de gestion des ressources naturelles et de règlement des conflits liés à leur usage ont constitué un facteur de résilience des relations intercommunales. Cependant, ils ont été mis à mal sous l’influence des groupes terroristes, souvent sous le couvert de l’islamisme extrémiste et violent. De plus, les opérations militaires antiterroristes ont parfois accru la pression sur les communautés rurales. Tout cela a contribué à la montée de la méfiance et des peurs parmi les communautés ainsi qu’à la stigmatisation des communautés de pastoralistes.
Les manquements des États dans différents domaines ont mis la résilience des populations et communautés locales à rude épreuve, surtout dans les zones rurales et les petites villes éloignées des capitales, où leurs attentes sont depuis longtemps restées insatisfaites, particulièrement en matière de protection, de justice et d’accès aux services de base. Les faiblesses des États ont favorisé la perte de confiance dans les institutions publiques, les terroristes en profitant pour s’implanter dans ces territoires périphériques.
Jusqu’à présent, les dirigeants politiques et militaires sont restés arc-boutés sur les approches sécuritaires, qui parfois même ont été encouragées de l’extérieur. Les dépenses militaires ont d’ailleurs absorbé une grande partie des ressources financières publiques, empêchant de réaliser des investissements dans des secteurs clés pour le développement.
Pour une approche plus en phase avec les réalités politiques et sociales des pays Sahéliens
Le problème avec l’approche dominante actuelle réside aussi dans le fait que les États ne dialoguent pas assez avec les institutions coutumières et religieuses, à quelques exceptions près. Pourtant, elles sont des partenaires clés pour la lutte contre l’insécurité, la résolution des conflits, la gestion des ressources naturelles et le développement socio-économique. Les acteurs locaux (chefferies, groupements de femmes, communes, services déconcentrés, associations de producteurs et de commerçants et autres) contribuent activement à la résolution des conflits. En particulier, les États ont aussi fait trop peu d’efforts pour désolidariser les jeunes des mouvements djihadistes alors que les politiques publiques en faveur de l’intégration socio-économique des premiers n’aboutissent pas à des résultats tangibles.
En même temps, bien que le lien entre changement climatique et sécurité soit devenu une question majeure pour les partenaires européens, l’efficacité de la coopération internationale reste entravée par sa fragmentation. Souvent, les réponses aux risques climatiques viennent compliquer la situation, en s’ajoutant à des objectifs déjà nombreux.
Propositions pour maintenant et pour l’avenir
Une préconisation primordiale issue des discussions à l’atelier de Dakar est de trouver un bon équilibre entre mesures d’urgence et réponses aux défis de long terme, y compris celui du changement climatique. Protéger les populations, sortir les jeunes de l’influence des groupes djihadistes, soutenir les moyens d’existence et assurer la justice sont des priorités. Le rétablissement et le renforcement de l’efficacité de l’État central est un facteur clé pour la stabilisation de la situation et la réalisation d’investissements publics améliorant les conditions de vie des populations dans les zones vulnérables.
Cependant, les stratégies et les potentialités de divers acteurs locaux et non-étatiques, y compris les femmes et les jeunes, pour régler et prévenir les conflits, mieux gérer les ressources naturelles et conduire des processus de développement doivent être mieux prises en compte, de façon plus pragmatique et dans des logiques partenariales, avec le concours des partenaires internationaux. Dans les zones sous contrôle des groupes armés, les risques climatiques devraient être mieux intégrées dans les processus de médiation et de sécurisation.
Une meilleure prise en compte des conditions politiques, des mutations sociales en cours et des identités culturelles et cultuelles est aussi capitale pour concevoir et mettre en œuvre efficacement des mesures d’adaptation et des politiques promouvant la résilience des sociétés. Selon plusieurs analystes, les stratégies et programmes concernant les pays du Sahel central ont fait l’économie de cette réflexion. En particulier, il est nécessaire de mieux comprendre les intérêts des élites dirigeantes, notamment les sources et la distribution des rentes économiques, afin d’envisager des accords entre elles politiquement viables et des interventions de l’État en faveur d’un développement économique plus inclusif et résilient aux chocs climatiques, économiques et sociaux.
Les partenaires internationaux, y compris l’UE, devraient soutenir le leadership des acteurs sahéliens, en suivant le principe de coresponsabilité, aux niveaux national et local, en particulier à travers l’approche territoriale. Par exemple, il faudrait soutenir l’implication des communes dans la gestion des mouvements de populations ainsi que celle de la transhumance transfrontalière. Ils devraient aussi orienter l’aide au développement et la finance climatique vers des institutions et acteurs qui sont en capacité de nourrir le dialogue et de saisir les opportunités de développement économique et de pacification, tout en contraignant les comportements néfastes pour le développement (par exemple, en contraignant autant que possible les flux financiers illicites).
Apprendre et bâtir sur les pratiques efficaces
Enfin, les parties prenantes devraient mieux tirer des enseignements des expériences positives. Par exemple, dans la région du lac Tchad, les dispositifs de gestion des conflits, l’application effective des règles concernant l’usage des ressources naturelles et le dispositif de suivi des moyens d’existence ont contribué à assurer une certaine stabilité. Aussi, l’expérience du Niger avec la Haute autorité à la consolidation de la paix, qui a pu contribuer à instaurer une approche plus intégrée et des liens plus soutenus avec les acteurs locaux. Enfin, les expériences variées de sécurisation et d’accès équitable aux ressources foncières, telle que la gestion locale du foncier au Burkina Faso voulue plus participative et transparente que par le passé. Les partenaires internationaux pourraient contribuer à un fonds régional finançant la recherche sur les pratiques répondant au changement climatique, la valorisation des connaissances endogènes et l’appropriation des données scientifiques par les acteurs locaux.
Ces enseignements, ainsi que les analyses des implications du changement climatique, doivent être diffusés plus largement et rapidement, en particulier entre les acteurs du développement socio-économique, de la gestion environnementale, de la sécurité et de la défense. Ceci afin de renforcer l’intégration des risques climatiques dans les politiques, de stimuler la coordination inter-sectorielle, d’assurer une compréhension commune des problèmes et de favoriser des synergies.
Entrevues avec des experts locals
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